Les Smart grids
Les Smart Grids, ou réseaux intelligents, vont bientôt s'inviter chez vous et révolutionner votre façon de consommer de l'électricité ! Certains louent leur capacité à lutter contre le gaspillage d'énergie et à améliorer la qualité du service rendu par les fournisseurs d'électricité. D'autres voient d'un mauvais oeil leurs possibles effets secondaires (atteinte à la vie privée, exposition aux ondes électromagnétiques, surcoûts, etc.). Qu'en est-il vraiment ?
Les Smart Grids, kézako ?
Il s'agit de réseaux électriques qui peuvent intégrer intelligemment le comportement et les actions de tous les utilisateurs qui leur sont connectés – producteurs, consommateurs et ceux qui exercent les deux activités – dans le but de fournir l’électricité de manière efficace. Les réseaux électriques actuels se contentent de transporter l'électricité des centres de production aux foyers de consommation, uniquement de l'amont vers l'aval.
Les réseaux intelligents vont plus loin en véhiculant non seulement de l'électricité, mais également de l'information, de façon bidirectionnelle, entre les centres de productions, les points de consommations et les points de stockage (dont les véhicules électriques), ce qui permet d'optimiser la gestion électrique.
Le fonctionnement des Smart Grids (Joël de Rosnay, 2011)

Les superpouvoirs des Smarts Grids
Toutes les parties prenantes au secteur de l'électricité devraient bénéficier des Smart Grids : les consommateurs, les producteurs, les fournisseurs et les gestionnaires de réseaux.
- Les producteurs seront plus à même de mesurer la demande d'électricité et de cerner les besoins, et donc d'ajuster les moyens de production.
- Les fournisseurs pourront établir des offres plus adaptées aux clients en définissant leur profil de consommation et mieux gérer la demande (écrêtement de cette dernière pendant les heures de pic, diminution ou report de la consommation des équipements des foyers).
- Les gestionnaires de réseaux seront capables d'optimiser les flux des réseaux, de réduire le nombre et la durée des interruptions de courant, de lutter contre les pertes d'électricité durant son transport...
- Les consommateurs obtiendront un plus grand choix sur la manière, la période et la quantité d'électricité qu'ils utilisent. Ils verront les durées d'interruption du courant s'abaisser, pourront mieux gérer leur consommation d'énergie et donc leurs factures, calculeront plus facilement le retour sur investissement de leurs productions renouvelables, optimiseront leur stockage d'électricité, etc.
POWER n°1 : Favoriser les économies d’énergie
Les réseaux intelligents permettront d’effectuer des économies d’énergie conséquentes, et donc de réduire l’empreinte carbone des producteurs et des consommateurs (et leur facture d’électricité).
Les Smart Grids favorisent la maîtrise de la consommation d’énergie en fournissant aux consommateurs un suivi de leur consommation en temps réel, ou tout du moins à intervalles très réguliers. Les particuliers pourront comprendre comment leur foyer utilise l'énergie et ainsi mieux la gérer, tout en réduisant leur empreinte carbone. Concrètement, ils pourront disposer d'un compte sur Internet qui leur indiquera leur consommation d'énergie en temps réel, et une comparaison par rapport à la consommation de leurs voisins. Ces informations seront récupérées par les compteurs intelligents installés dans chaque foyer.
Les appareils électroménagers “intelligents” pourront être configurés par l'utilisateur final pour communiquer directement des informations aux fournisseurs afin d'utiliser l'électricité de manière plus efficace et plus productive. Les thermostats par exemple, pourront être programmés pour définir les niveaux de chauffage et de climatisation des logements. Si le prix de l'énergie est élevé, le thermostat pourrait être programmé pour utiliser automatiquement moins d'énergie quand le logement est vide. L'équipement et les appareils des Smart Grids contiennent des contrôles automatiques qui permettent de limiter la consommation pendant les pics de demande.
Les réseaux intelligents poussent donc en théorie les consommateurs à décroître leur demande en électricité, réduisant au passage leurs émissions de CO2, le montant de leur facture et la nécessité de construire de nouvelles centrales électriques pour répondre à la demande. La collecte d’informations sur les modes de consommation de l’électricité permet aussi aux fournisseurs d’éviter une production d’électricité inutile car supérieure à la demande, et donc de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
Cette fonction est plutôt intéressante dans la mesure où les centrales électriques se placent en tête des secteurs d’activités les plus émetteurs d’émissions de CO2 et devancent de loin l’industrie (hors ciment), le transport, les secteurs des services et le résidentiel, la déforestation et les raffineries (cf. schéma ci-dessous).
Les différentes sources d’émissions directes de CO2 au niveau mondial, par secteur, 1970–2004 (GIEC, Migration of Climate Change, Cambridge University Press, 2007)

POWER n°2 : Doper le développement des énergies renouvelables
Les Smart Grids devraient aussi faciliter l'intégration des énergies renouvelables et du stockage d’énergie dans les réseaux électriques.
Par exemple un des problèmes posés par les énergies renouvelables est dû aux absences périodiques de sources d'énergie (soleil, vent), ce qui rend leur production intermittente. Ainsi, un parc de production éolienne de 2 400 MW peut connaître une variation de 320 MW à cause d'une baisse de seulement 1 m/s de la vitesse du vent. En conséquence, la quantité d’énergie renouvelable produite ne correspond pas toujours à la demande d'énergie (ex: la nuit pour le solaire) et parfois manquent de fiabilité (il est difficile de prévoir le vent par exemple).
En rendant les réseaux nationaux beaucoup plus réactifs aux fluctuations de la demande d'électricité et en permettant aux sources de production d'énergie d'être raccordées au réseaux, la production d'énergie décentralisée à petite échelle (y compris à l'échelle du foyer) rendra possible l'intégration des énergies renouvelables. Les réseaux intelligents sont effectivement caractérisés par leur aspect décentralisé, contrairement aux réseaux traditionnels. Couplés avec des logiciels intelligents, ils sont capables non seulement de transmettre de l'électricité vers des équipements mais également d'en recevoir de la part de petits générateurs. Au niveau le plus réduit, les réseaux du futur pourraient récupérer le courant produit par n'importe quel foyer individuel disposant d'un surplus d'électricité. Les Smart Grids apportent ainsi une solution à l'absence de fiabilité et aux faibles rendements des énergies renouvelables.
Les entreprises et les particuliers raccordés aux réseaux intelligents pourront vendre ou acheter de l'électricité à la minute près grâce à la gestion dynamique de leurs appareils. Ainsi les consommateurs et les entreprises pourront plus facilement vendre au réseau national les surplus d'énergie qu'ils généreront, et ils pourront aussi être encouragés dans cette pratique par des tarifs de rachat.
POWER n°3 : Améliorer la qualité du service
La capacité des réseaux électriques commence à être remise en question du fait de l’augmentation de la consommation d’énergie, de l’ouverture des marchés à la concurrence et de l'intégration croissante dans le réseau des énergies renouvelables (qui utilisent les infrastructures les plus excentrées et donc les plus fragiles). Le déploiement des Smart Grids permettra aux réseaux électriques, actuellement obsolètes, de devenir plus fiables et efficaces.
Les Smart Grids devraient ainsi améliorer la fiabilité de l'approvisionnement d'énergie et notamment d’anticiper et éviter les pannes de courant (comme le blackout de 2003 en Italie) et de réduire leur durée. Les Smart Grids devraient permettre un rétablissement automatique du réseau en cas de perturbations, de catastrophes naturelles, d'attaques physiques ou de cyber-attaques.
En effet, les Smart Grids permettront d'identifier le lieu de la panne et d'envoyer des réparateurs sur place immédiatement. Le courant sera acheminé tout autour du lieu de la panne afin de limiter le nombre d'individus affectés par la rupture de l'approvisionnement. Les particuliers pourront également s'inscrire pour recevoir des alertes sur leur portable les informant quand des pannes ont lieu et quand reviendra le courant, ou même quel sera le temps de réparation pour un proche.
Les écrêtements des pics de consommation, réalisés grâce une meilleure gestion de la demande, permettent non seulement d’éviter les surcharges de réseau et donc les pannes de courant, mais ils diminuent également les émissions de gaz à effet de serre en limitant le recours aux centrales d’appoint, qui utilisent souvent des sources d’énergie polluantes.
Une innovation menaçante ?
33 millions de compteurs intelligents du type Linky devraient être installés en France d'ici 2016. Des expérimentations sont actuellement en cours (Lyon, Tours, Paris), mais elles ne sont pas au goût de tout le monde. Les raisons ?
- D’éventuels coûts supplémentaires pour les consommateurs (installation des nouveaux compteurs; nouveaux services payants développés pour utiliser les compteurs…) ;
- De potentiels risques sanitaires causés par les ondes électromagnétiques des technologies sans fil qui vont se développer avec les Smart Grids ;
- Des possibles suppressions de postes de techniciens chez les distributeurs d’électricité, etc.
Mais la principale objection au développement des Smart Grids concerne les menaces qu’il fait peser sur la vie privée des consommateurs, via la prolifération et le manque de contrôle des informations collectées par les technologies intelligentes.

Smart brother is watching you
La modernisation du réseau électrique actuel impliquera l'accroissement de la collecte, l'utilisation et la diffusion d'informations personnelles par les fournisseurs d'énergie et peut-être même par de tierces parties.
Les compteurs intelligents peuvent recueillir un identifiant de comptage unique, l'horodatage, et des informations liées à la consommation toutes les 15 à 60 minutes. La fréquence pourrait se réduire à toutes les 1 à 5 minutes. Une telle fréquence permettrait de dresser les modes de consommation des individus, jusqu’à connaître le type d'appareil en fonctionnement à un moment donné. Les appareils et compteurs intelligents constitueront donc une mine d'informations sur les détails intimes de la vie quotidienne.
Plusieurs facteurs pourraient pousser à un détournement de l’utilisation des informations collectées sur la consommation d’énergie. En effet, les fournisseurs d’énergie doivent faire face à de nouvelles pressions, notamment réglementaires, qui pourraient les mener à chercher de nouvelles sources de revenus. Ainsi, une législation commence à apparaître pour lutter contre le changement climatique, et pourrait par exemple obliger les fournisseurs à remplacer leur équipement, mettre en place des contrôles des niveaux de pollution, acheter des permis carbone…et donc accroître leurs dépenses.
Ces coûts de production supplémentaires devraient être en théorie compensés en les répercutant sur les prix de l’électricité facturés aux consommateurs finaux, mais cette répercussion pourrait rencontrer de vives résistances dans un contexte de crise et étant donné le caractère crucial du prix de l’énergie pour l’économie nationale. Les acheteurs potentiels de telles données ne manquent pas : par exemple des agences marketing pour effectuer du marketing ciblé ou encore des consultants en économies d’énergie qui pourraient facilement trouver des clients ou connaître les failles de la consommation de leurs clients actuels.
Plusieurs types d’utilisations de ces informations qui pourraient s’avérer préjudiciables pour les consommateurs. Cela peut-être simplement de la curiosité mal placée, ou être utilisé par des cambrioleurs (possession et activation d’une alarme ou non), pour fixer les tarifs d’assurance (qui seront plus élevés si la personne souffre d’alcoolisme, d’insomnie, si elle a une conduite à risque au volant...), à des fins de marketing ciblé ou de discrimination, pour des procédures judiciaires concernant la garde des enfants ou des congés maladie, etc. Comment peut-on en arriver à ces déductions ? En récoltant des informations sur votre consommation d’électricité, on peut réussir à répondre à des questions telles que :
- Rentrez-vous régulièrement chez vous peu après l’heure de fermeture des bars ?
- Êtes-vous souvent en retard pour partir au travail, devez-vous faire des excès de vitesse pour y arriver à temps ?
- Avez-vous tendance à partir de la maison en laissant des appareils électriques allumés (fer à friser, cuisinière, etc.) ?
- Comment se fait-il que vous ayez pu allumer la TV à l’étage moins d’une minute après avoir éteint la lumière au rez-de-chaussée, alors que vous avez de graves problèmes de dos ? (cas d’un congé maladie)
- Avez-vous déjà laissé vos enfants seuls à la maison ? Si oui, combien de fois et pour combien de temps ? (cas d’un divorce)
- Etc.
Les réseaux sans fil utilisés pour communiquer avec les compteurs intelligents peuvent exposer les données sur la consommation à des menaces telles que des écoutes, de l'interception ou de la falsification de messages.
Mais, rassurez-vous, Le danger, ce n'est pas Big Brother, c'est nos émissions de CO2 (Laurent Blanchard, vice-président pour l'Europe de l'équipementier américain des télécommunications Cisco) !